Wistleblowing: Review Of Situation In Switzerland (Article In French)

Whistleblowing : état des lieux

1. Introduction

To blow the whistle, soit “lancer un coup de sifflet”, est l’acte par lequel un employé (ancien ou actuel) révèle des pratiques illégales, immorales ou illégitimes dont l’employeur a la maîtrise, à une personne ou à un organisme susceptible de remédier à la situation. Ainsi n’est pas un lanceur d’alerte l’employé qui doit témoigner en justice, l’employé qui fait valoir des prétentions personnelles. N’est pas plus un lanceur d’alerte un journaliste qui met en évidence des pratiques douteuses.

 Le terme de whistleblower est apparu aux Etats-Unis en 1963 à l’occasion d’une affaire “Otopeka” du nom d’un fonctionnaire démis de ses fonctions pour avoir révélé au Comité du Sénat américain en charge de la sécurité intérieure des informations confidentielles.

 Dès l’origine, l’effet pervers du whistleblowing est apparu en ce sens que le donneur d’alerte s’expose à des sanctions puisque sa dénonciation peut être interprétée comme une violation de son devoir de fidélité. Au chapitre de ces sanctions, on trouve le licenciement pour juste-motif, le licenciement ordinaire, le déplacement, la non-promotion, autant de sanctions réservées aux lanceurs d’alerte.

Or, le lanceur d’alerte peut permettre à la moralisation des affaires en dénonçant, par le biais d’alertes internes, des fraudes ou des actes illicites.

Afin d’ouvrir un canal d’information qui peut être utile à l’employeur, la priorité a consisté à mettre en place des mesures de protection au bénéfice du lanceur d’alerte. Je ne citerais ici que la loi Sarbanes-Oxley ratifiée le 30 juillet 2002 aux Etats-Unis.

La plupart des pays européens ont suivi cette voie, l’Europe étant également en passe de légiférer. On peut ainsi citer ici la Semaine juridique de mai 2018 qui justifie de la nécessité de légiférer non sans une certaine grandiloquence dans les termes suivants :

“La volonté du législateur européen ou français de faire de tout un chacun un collaborateur de la justice au sens non seulement institutionnel mais éthique, est l’une des principales marques de l’évolution culturelle à l’œuvre. Elles répondent à une demande sociale de mettre fin à l’immunité des puissants et de responsabiliser les acteurs publics et économiques.”

 La Suisse n’échappe pas à cette réflexion et, à un rythme sénatorial, a établi le projet dont il sera question ici.

2. L’évolution législative

 Le Conseiller national Raymond Gysin a déposé, le 7 mai 2003, une motion ayant pour titre “protection juridique pour les personnes qui découvrent des cas de corruption”.

 La motion Gysin demandait que les conditions de protection en cas de révélation d’actes illicites soient explicitement réglées dans le Code des Obligations. Elle demandait également que soit examinée la question d’un éventuel renforcement de l’indemnité maximale de six mois de l’art. 336 a, al. 2 CO. Elle précisait que la révélation d’actes illicites à l’opinion publique ne devait se faire qu’en dernier recours. Elle précisait enfin qu’une protection équivalente devait être prévue pour les rapports de travail de droit public.

 Après avoir renoncé, en raison des nombreuses oppositions soulevées, à renforcer les sanctions en cas de congé abusif (de 6 mois à une année), le Conseil fédéral a présenté au Parlement, le 20 novembre 2013, un message sur la révision partielle du Code des Obligations (intitulé “Protection en cas de signalement d’irrégularités par le travailleur” FF, 2013 pp. 8547ss). Tant le Conseil des états que le Conseil national sont entrés en matière sur le projet, mais ont décidé de le renvoyer au Conseil fédéral “avec le mandat de formuler le projet d’une manière plus simple et plus compréhensible”. Ce premier projet était en effet confus pour partie du fait de la terminologie utilisée et pour partie du fait qu’étaient intégrés dans les textes légaux des exemples.

 Le 21 septembre 2018, le Conseil fédéral a transmis au Parlement un message additionnel au message du 20 novembre 2013 (FF 2018, pp 6163 ss). Il soumet ainsi un nouveau projet d’article 321a bis prime à 321 a septies impliquant des modifications formelles des articles 328, al. 3 CO sur la protection de la personnalité du travailleur, 336, al. 2, lit. d CO sur le licenciement abusif et 362, al. 1 CO sur les dispositions impératives.

 Le nouveau texte qui est remis dans votre documentation sera envisagé ici. Il sera soumis les 4 et avril à la Commission des affaires juridiques du Conseil National.

3. La situation actuelle

 La problématique du lanceur d’alerte découle de l’interprétation qui peut être faite du devoir de fidélité du travailleur au sens de l’art. 321a CO. Vous le savez, le travailleur doit sauvegarder fidèlement les intérêts légitimes de l’employeur. C’est sur la base de cette disposition et du caractère légitime ou non des intérêts de l’employeur que la jurisprudence sur les lanceurs d’alerte s’est développée. Le Conseil fédéral a ainsi établi son projet en précisant le devoir de fidélité du travailleur. C’est pour cette raison que les nouvelles dispositions suivent l’art. 321a CO.

 Je citerai ici trois arrêts du Tribunal fédéral qui fixe le cadre actuel du whistleblowing, soit les arrêts ATF 127 III 310, 4A_2/2008 et 6B_200/2018.

 ATF 127 III 310

Je ne résume ici que la partie de l’état de fait utile à la compréhension de la problématique du signalement.

Il s’agit d’une veilleuse de nuit au sein d’un EMS qui fait 9 veilles par mois. Elle a commencé en 1987 et a été licenciée avec effet immédiat en 1998.

L’employée, membre d’un syndicat, est mécontente de la gestion de la résidence et du comportement de celle-ci au regard de ses pensionnaires.

A l’insu de son employeur, le 11 février 1998, elle filme l’intérieur de l’institution. Elle met ainsi en scène une ceinture de contention sur une chaise; elle filme également une patiente dans son lit, sans l’autorisation de celle-ci. Elle a admis en cours de procédure que ce film était destiné à la Télévision Suisse Romande pour dénoncer les traitements infligés.

A la même époque, le syndicat dont l’employée est membre dénonce l’EMS au Service de la santé publique et adresse un dossier contenant des accusations de mauvais traitements envers les pensionnaires. Une procédure en retrait d’autorisation d’exploiter est ouverte et un délai d’une dizaine de jours est imparti à la Direction pour se déterminer sur les griefs.

Le syndicat décide d’alerter les médias et organise une manifestation devant la résidence. Le soir même la TSR, au 19h30, diffuse un reportage qui comporte notamment un interview de la collaboratrice. Celle-ci se voit licenciée avec effet immédiat.

Elle ouvre action devant le Tribunal de Prud’hommes qui rejette sa demande. Elle recourt au Tribunal cantonal vaudois qui admet son recours, lui octroie trois mois de salaire, soit la période de son préavis, ainsi qu’une indemnité du chef d’un licenciement immédiat injustifié. L’employeur recourt au Tribunal fédéral.

Dans cette affaire, on avait donc une alerte à l’autorité de surveillance et une alerte publique dans les médias, le Tribunal fédéral se pose donc la question de savoir si l’employée était fondée à saisir les médias.

Il rappelle l’art. 321 a CO aux termes duquel le travailleur doit sauvegarder fidèlement les intérêts légitimes de l’employeur. Il relève que le salarié doit aussi garder le secret sur des infractions pénales ou administratives commises par l’employeur à moins qu’un intérêt supérieur ne s’y oppose. Ainsi lorsque l’activité de l’employeur cause ou risque de causer illicitement un dommage à autrui, le salarié, précise le Tribunal fédéral, ne peut faire valoir un intérêt supérieur à rompre le secret que s’il respecte lui-même le principe de la proportionnalité.

Le Tribunal fédéral fixe ainsi les devoirs de l’employé. Il doit tout d’abord interpeller son employeur puis, faute d’une réaction, saisir l’autorité compétente qui pourra agir sans porter atteinte à la réputation de l’employeur. Ce n’est que si l’autorité demeure inactive que le salarié peut, lorsque les circonstances le justifient, saisir l’opinion publique. En l’espèce, saisir les médias n’était pas admissible et le licenciement immédiat était donc justifié.

Cet Arrêt fixe ainsi les principes que l’on retrouvera dans le projet de modification du Code des obligations. Les principes s’appliquent d’ailleurs dans toutes les législations qui réglementent le whistleblowing. Il y a une hiérarchie du signalement qui, si elle n’est pas respectée, constitue une violation du devoir de fidélité.

 Ainsi, le donneur d’alerte :

– doit d’abord s’adresser à son employeur;

– ce n’est que si celui-ci ne réagit pas qu’il peut alors s’adresser à l’autorité;

– si l’autorité ne réagit pas, il peut enfin, selon les circonstances, s’adresser aux médias.

 L’employé doit faire montre de prudence. Sa réaction doit être proportionnée. Il faut au surplus un intérêt supérieur qui justifie de s’écarter du devoir de fidélité qui impose le silence.

SJ 2009 I 1 ss (4A_2/2008)

 Un collaborateur responsable du trafic des paiements d’une succursale de banque à Lugano constate des irrégularités dans certains ordres de paiement effectués par le Directeur.

 Il fait part de sa découverte à l’avocat externe de la banque chargé de la représenter dans les opérations en cause, avocat qui transmet les informations reçues à certains membres de la Direction générale qui informe le Directeur en cause. Une enquête interne est ouverte qui ne corrobore pas les soupçons du collaborateur.

 Confrontée à des fuites, la Direction générale demande au collaborateur notamment s’il a révélé à des tiers des faits couverts par le secret bancaire. Celui-ci a répondu par la négative. La banque le licencie néanmoins dans le délai contractuel et le libère immédiatement de son obligation de travailler. C’est le Directeur qui lui annonce cette nouvelle, Directeur qui sera arrêté quelques mois plus tard pour diverses malversations au détriment de la banque.

Les instances cantonales ont confirmé le caractère abusif du licenciement du collaborateur. Le TF l’a confirmé également relevant que l’employé était de bonne foi et que son signalement à l’extérieur était proportionné en l’absence d’un “canal sûr” offert par la banque pour ce genre de situation.

 Le Tribunal fédéral stigmatise en revanche la légèreté de la banque qui a impliqué le Directeur dénoncé dans cette enquête ce qui a abouti à en saboter les résultats. Elle a au surplus manqué à son devoir de protéger la personnalité du collaborateur par rapport à ce supérieur.

 Enfin, la manière d’interroger le collaborateur sans le confronter avec le résultat de l’enquête interne et lui demander de s’expliquer pour ne l’interroger que de manière générale sur les suites n’était pas non plus admissible.

 On peut déduire de cet arrêt l’importance que revêt la mise en place d’une procédure de whistleblowing. On retrouvera également ce point dans le projet de modification du CO, comme on retrouvera la nécessité de protéger le lanceur d’alerte.

 6B_200/2018

 Il s’agit de l’affaire du Directeur de la BNS dont la femme avait acheté des dollars américains peu avant l’introduction du taux plancher de l’euro à 1.20. L’informaticien de la banque, soumis au secret bancaire, a révélé ces faits. La banque a déposé une plainte pénale contre lui, ce qui lui a valu une condamnation par le Tribunal cantonal zurichois en 2017. Il a recouru au Tribunal fédéral qui a rejeté son recours.

 En substance, le Tribunal fédéral a considéré que pour justifier la divulgation d’informations confidentielles, soumises en l’espèce au secret bancaire, l’acte incriminé doit être un moyen nécessaire et approprié pour atteindre l’objectif légitime souhaité et peser moins lourd que l’infraction objet de la divulgation. Ces conditions doivent également être remplies si l’auteur ne se soucie que des intérêts publics. Le Tribunal fédéral rappelle que le donneur d’alerte doit épuiser toutes les instances de contrôle avant de pouvoir communiquer à l’extérieur des informations confidentielles.

On peut ainsi résumer cette jurisprudence, que l’on retrouvera dans le texte du projet de modification du Code des obligations de la manière suivante :

– Le donneur d’alerte doit dans un premier temps s’adresser à son employeur; si celui-ci ne réagit pas, il peut alors s’adresser à l’autorité; si l’autorité ne réagit pas, le donneur d’alerte peut selon les circonstances s’adresser aux médias.

– L’absence d’une procédure de whistleblowing adéquate et sûre permet au lanceur d’alerte de s’adresser à des tiers.

 – Enfin, un secret professionnel reste applicable, le lanceur d’alerte devant alors, s’il entend divulguer des faits de nature confidentielle, procéder à une balance des intérêts, soit l’intérêt à une divulgation et l’intérêt à la protection du secret.

 Venons-en maintenant au projet du 21 septembre 2018.

4. Le projet du 21 septembre 2018

 Pour interpréter les nouvelles dispositions, il y a lieu de se référer aux deux messages de 2013 et 2018.

 Je reprends ici les différentes dispositions qui figurent dans le projet, dispositions qui vous ont été remises dans votre documentation.

 4.1 Article 321 a bis CO : Principe

 L’article 321a bis prime CO n’existait pas dans le projet de 2013. Cet article ne comporte aucune nouveauté quant à son contenu, mais vise à poser la règle générale et à donner une vue d’ensemble de la procédure de signalement envisagée dans les dispositions suivantes.

 Ainsi, le signalement d’une irrégularité est conforme au devoir de fidélité du travailleur lorsque les conditions fixées par les dispositions suivantes sont remplies :

 a) pour le signalement à l’employeur, il y a renvoi à l’art. 321 a bis;

 b) pour le signalement à l’autorité compétente, le renvoi est à l’art. 321 a ter ou quater;

 c) pour le signalement au public, c’est l’art. 321 a quinquies qui s’applique.

 On retrouve ainsi les trois étapes de signalement que l’on a vu, étapes qui font l’objet de dispositions séparées.

 La notion d’irrégularité est définie à l’alinéa 2 de cette disposition. Par rapport au projet de 2013, la définition a été simplifiée. “Sont notamment considérées comme irrégularités les infractions au droit pénal ou administratif ou à d’autres règles légales, ainsi que les violations des règles internes”.

 Naturellement, l’irrégularité doit se rapporter à des faits couverts par l’obligation de discrétion réglée à l’art. 321 a, al. 4 CO actuel. En effet, si un fait n’est pas confidentiel il peut être révélé sans qu’il soit besoin de passer par les dispositions des art. 321 a bis ss CO du fait même de son absence de confidentialité.

 S’agissant des violations des règles internes, le Conseil des Etats avait souhaité, dans le cadre du premier projet, que seules les violations significatives de ces règles internes entrent dans la notion d’irrégularité. Dans un souci de simplification, le projet ne reprend pas cette restriction qui était effectivement peu importante. En pratique, la violation des règles internes ne pourra en effet donner lieu qu’à un signalement à l’employeur et l’employé devra de toute manière respecter le principe de proportionnalité qui lui imposera de ne pas dénoncer des cas bagatelles.

 Vous observerez également que, pour cette disposition, seul le premier alinéa est de droit impératif (voir la modification art. 362, al.1 en fin de votre documentation). En d’autres termes, un employeur pourrait, dans son règlement d’entreprise, définir la notion d’irrégularité pour son organisation. Il ne pourrait toutefois empêcher le signalement à l’autorité ou au public par une définition par trop restrictive des irrégularités.

 En d’autres termes, au risque d’être réducteur, l’employeur pourrait, par son règlement, faire d’une règle interne peu significative, une règle qui, si elle devait être violée, pourrait faire l’objet d’un signalement.

Il ne pourrait pas en revanche, par un règlement d’entreprise, empêcher le signalement d’un délit pénal par exemple.

4.1 Article 321 a bis CO : Principe

L’article 321a bis prime CO n’existait pas dans le projet de 2013. Cet article ne comporte aucune nouveauté quant à son contenu, mais vise à poser la règle générale et à donner une vue d’ensemble de la procédure de signalement envisagée dans les dispositions suivantes.

Ainsi, le signalement d’une irrégularité est conforme au devoir de fidélité du travailleur lorsque les conditions fixées par les dispositions suivantes sont remplies :

a)  pour le signalement à l’employeur, il y a renvoi à l’art. 321 a bis;

b)  pour le signalement à l’autorité compétente, le renvoi est à l’art. 321 a ter ou quater;

c)  pour le signalement au public, c’est l’art. 321 a quinquies qui s’applique.

On retrouve ainsi les trois étapes de signalement que l’on a vu, étapes qui font l’objet de dispositions séparées.

La notion d’irrégularité est définie à l’alinéa 2 de cette disposition. Par rapport au projet de 2013, la définition a été simplifiée. “Sont notamment considérées comme irrégularités les infractions au droit pénal ou administratif ou à d’autres règles légales, ainsi que les violations des règles internes”.

Naturellement, l’irrégularité doit se rapporter à des faits couverts par l’obligation de discrétion réglée à l’art. 321 a, al. 4 CO actuel. En effet, si un fait n’est pas confidentiel il peut être révélé sans qu’il soit besoin de passer par les dispositions des art. 321 a bis ss CO du fait même de son absence de confidentialité.

S’agissant des violations des règles internes, le Conseil des Etats avait souhaité, dans le cadre du premier projet, que seules les violations significatives de ces règles internes entrent dans la notion d’irrégularité. Dans un souci de simplification, le projet ne reprend pas cette restriction qui était effectivement peu importante. En pratique, la violation des règles internes ne pourra en effet donner lieu qu’à un signalement à l’employeur et l’employé devra de toute manière respecter le principe de proportionnalité qui lui imposera de ne pas dénoncer des cas bagatelles.

Vous observerez également que, pour cette disposition, seul le premier alinéa est de droit impératif (voir la modification art. 362, al.1 en fin de votre documentation). En d’autres termes, un employeur pourrait, dans son règlement d’entreprise, définir la notion d’irrégularité pour son organisation. Il ne pourrait toutefois empêcher le signalement à l’autorité ou au public par une définition par trop restrictive des irrégularités.

En d’autres termes, au risque d’être réducteur, l’employeur pourrait, par son règlement, faire d’une règle interne peu significative, une règle qui, si elle devait être violée, pourrait faire l’objet d’un signalement.

Il ne pourrait pas en revanche, par un règlement d’entreprise, empêcher le signalement d’un délit pénal par exemple.

 

4.2 Article 321 a bis CO : Signalement à l’employeur

 Aux termes de cette disposition, le premier destinataire d’un signalement doit être l’employeur. Un signalement sera alors conforme au devoir de fidélité aux deux conditions cumulatives suivantes :

 – Il est fondé sur un soupçon raisonnable;

– il est adressé à une personne ou à un service, interne ou externe, habilité à le recevoir.

 La notion de soupçon raisonnable revient à se poser la question du degré de certitude nécessaire pour qu’il soit procédé à un signalement. Le Conseil fédéral se réfère à cet égard à la notion de “bonne foi” de l’art. 336, al. 1, litt. d CO relatif au caractère abusif d’un licenciement parce que l’employé fait valoir “de bonne foi” des prétentions découlant du contrat de travail (congé représailles). En revanche, la notion de soupçon suffisant de l’art. 309, al. 1, litt. a CPP est plus stricte et n’est donc pas retenue).

 La seconde condition posée est très large et couvre toutes les hypothèses. Ainsi, le signalement peut être fait à une personne, interne ou externe à l’entreprise, à un service, interne ou externe également, selon l’organisation qui aura été mise en place par l’employeur. Cela peut ainsi être la direction, le supérieur hiérarchique, le conseil d’administration d’une société anonyme, une personne désignée au sein des ressources humaines, d’un service de compliance… Si rien n’est prévu, il s’agira généralement d’un signalement hiérarchique.

 Si l’ancien projet prévoyait, comme destinataire une personne habilitée à “traiter” le signalement, plus opportunément le projet actuel prévoit une personne habilitée à “recevoir” le signalement. Cela permet ainsi de scinder la réception d’un signalement du traitement de celui-ci, soit de l’enquête qui peut en découler. Une telle enquête peut être confiée, selon l’organisation interne, à des personnes ou services différents, voire à des enquêteurs externes.

 Le signalement peut être fait de manière anonyme. Cela découle de l’art. 321 a bis, al. 2, litt. b qui précise que le travailleur doit être informé du traitement réservé à son signalement sauf “si le travailleur a signalé de manière anonyme”.

 Toutes les législations sur le whistleblowing prévoient la possibilité d’un signalement anonyme. Le Conseil fédéral aurait eu la possibilité de prévoir expressément, par exemple à l’art. 321 a bis prime, la possibilité d’un signalement anonyme. Il le fait de manière incidente, ce qui paraît opportun, tant il est vrai que l’on doit, dans la mesure du possible, privilégier le signalement “à visage découvert” seul à même de préserver également les droits de la personne dénoncée.

 Sur la dénonciation anonyme, il faut relever que c’est parfois le seul moyen d’effectuer un signalement sans risque. Certes le projet de modification de l’art. 336, al. 2, litt. d qualifie d’abusif le congé donné par l’employeur en raison du signalement d’irrégularité. Cette protection a cependant ses limites, soit une indemnité représentant au maximum 6 mois de salaire. Malgré certaines demandes la réintégration n’a pas été retenue. On verra toutefois que d’autres protections sont prévues dans le projet.

 Le donneur d’alerte qui révèle son identité pourrait également demander à son employeur que son anonymat soit protégé au regard de la personne dénoncée. Une telle requête n’est cependant pas une protection absolue. Ainsi, par exemple, le dénoncé pourrait-il agir au plan pénal du chef d’une diffamation, ce qui imposerait à l’employeur de remettre le dossier de dénonciation comportant le nom du dénonciateur. Cet anonymat ne serait ainsi pas garanti.

L’alinéa 2 de l’art. 321 a bis prévoit les démarches à entreprendre par l’employeur “qui reçoit un signalement fondé sur un soupçon raisonnable”.

 Si un signalement n’est pas de toute évidence farfelu, l’employeur doit :

– fixer un délai maximum de 90 jours à compter de la réception du signalement pour le traiter;

– informer le travailleur de la réception du signalement et de son traitement, sous réserve, on l’a vu, du cas du signalement anonyme;

– adopter des mesures suffisantes pour traiter le signalement.

 Cette dernière formulation est malheureuse puisqu’elle pourrait laisser à penser que l’on pourrait se contenter d’ouvrir une enquête.

 De fait, il faut, pour comprendre ces mesures suffisantes, se référer au commentaire du projet initial. Les mesures qui doivent être prises sont ainsi celles qui doivent permettre de remédier aux faits illicites signalés.

 Ainsi dans un délai de 90 jours, l’employeur doit :

 –     déterminer prima facie si le signalement est raisonnable;

 – constater le caractère illicite des faits dénoncés et leur réalité. Cela impose donc une enquête qui, plus les faits sont graves, sera complexe. Je rappelle à cet égard l’arrêt 4A_694/2015 qui prévoit un droit de la partie dénoncée d’être entendue, d’être assistée, de consulter le dossier et de demander des mesures d’instruction; sur l’enquête interne et son cadre légal, je vous renvoie également à la Semaine judiciaire II 2013 p. 157ss.

 – remédier aux faits illicites, soit éviter qu’il ne se répètent.

 Tout cela doit se faire dans un délai très court avec pour sanction, si ces démarches ne sont pas accomplies, la dénonciation à l’autorité, en application de l’article 321 a ter litt. a du projet.

En pratique, la question se posera ainsi certainement de la pertinence d’un avis à l’autorité dans l’hypothèse où l’enquête n’a pas pu se terminer dans ce délai pour des raisons liées à sa complexité par exemple. Il incombera à mon sens à l’employeur d’établir que les mesures prises, si elles ne sont pas complètes, sont néanmoins suffisantes, l’élément déterminant étant qu’il aura été remédié à la situation potentiellement illicite.

 Qu’en serait-il du lanceur d’alerte qui s’adresserait à l’autorité au motif qu’aucune sanction n’est prise à l’encontre du collaborateur incriminé ? En d’autres termes, la sanction entre-t-elle dans les mesures suffisantes ?

 A mon sens, le lanceur d’alerte a une position de dénonciateur, par analogie au droit pénal. Il n’est pas partie. Il doit donc être renseigné et rassuré sur le fait que l’illicité est corrigée ou ne pourra pas se reproduire. Il n’a en revanche pas son mot à dire sur les sanctions prises. On pourra ainsi raisonner par analogie avec ce qui prévaut en matière de renseignements donnés par l’autorité selon l’article 321 a quinquies CO que l’on verra. La sanction n’entre donc pas dans les mesures à prendre.

 4.3 Art. 321 a ter et quater : Signalement à l’autorité compétente avec et sans signalement préalable à l’employeur

 On l’a vu, le principe est le signalement préalable à l’employeur.

 Selon l’art. 321 a ter CO, le signalement à l’employeur peut être suivi, s’il est fondé sur un soupçon raisonnable, d’une dénonciation à l’autorité chargée de contrôler l’application des normes violées aux conditions alternatives suivantes :

 –             Le travailleur a préalablement signalé l’irrégularité, mais l’employeur n’a pas pris les mesures requises à l’art. 321 a bis, al. 2 CO que nous venons de voir;

 –             le travailleur a vu son contrat de travail résilié ou a subi d’autres désavantages du fait du signalement à l’employeur.

 Selon cette formulation, toute irrégularité ne peut pas être signalée à l’autorité. Il doit s’agir d’irrégularités concernant des normes “dont une autorité contrôle l’application”, ce qui par nature comprend le droit pénal et le droit administratif à l’exclusion du droit privé. Le message donne quelques exemples qu’il est bon de citer pour la compréhension. Ainsi peuvent faire l’objet d’un signalement :

 – des actes de corruption pourront être signalés aux autorités pénales;

– des fraudes alimentaires pourront l’être à l’inspection des denrées alimentaires, et éventuellement aux autorités pénales;

 – de même pour des dispositifs médicaux mis sur le marché qui pourraient faire l’objet d’une dénonciation à Swissmedic;

 – s’agissant d’un cas de mobbing visant d’autres collaborateurs, si cela relève du droit privé du travail, cela relève aussi du droit public de l’obligation de protéger la santé du travailleur tel qu’il découle de la loi sur le travail. Il pourrait ainsi y avoir une dénonciation auprès de l’inspection du travail, voir auprès d’un juge pénal, le mobbing pouvant consister en des lésions corporelles au sens du Code pénal;

 – en revanche, la violation d’un contrat conclu avec un client ne pourra pas faire l’objet d’un signalement dans la mesure où il s’agit de strict droit privé.

 La deuxième condition évoquée ci-dessus vise à une meilleure protection du travailleur qui aurait pris le parti d’apparaître dans sa dénonciation. Elle vient s’ajouter à la protection contre le licenciement abusif et est certainement plus efficace.

 La résiliation du contrat de travail est une notion claire. Qu’en est-il du travailleur qui subit d’autres désavantages du fait du signalement à l’employeur ? Il peut s’agir de mesures disciplinaires par exemple, de rétrogradation ou de non promotion. L’employé aura cependant des difficultés à établir le lien entre son signalement et certaines mesures. Ce sont les mêmes difficultés que l’on connaît en matière de licenciement abusif.

Cela étant il est important de relever qu’un licenciement ou d’autres mesures disciplinaires en raison d’un signalement qui s’est avéré illicite, ne justifie naturellement pas un signalement à l’autorité.

 Ainsi, par exemple, un signalement fantaisiste qui ne repose sur aucun soupçon raisonnable ne saurait, si l’employeur ne le traite pas ou s’il licencie le lanceur d’alerte ou prend des mesures disciplinaires à son encontre, justifier d’un signalement à l’autorité en application de l’art. 321 a ter.

 De même, le message du Conseil fédéral donne l’exemple d’un signalement effectué dans les règles, mais insultant pour la personne dénoncée, pourra justifier des mesures disciplinaires à l’encontre du lanceur d’alerte sans qu’il ne puisse saisir l’autorité.

L’art. 321 a quater prévoit quant à lui le signalement à l’autorité compétente sans signalement préalable à l’employeur. Un tel signalement reste conforme au devoir de fidélité s’il est fondé sur un “soupçon raisonnable” et lorsque le travailleur peut “raisonnablement” conclure :

 – que le signalement à l’employeur ne produira pas d’effet;

 – que l’action de l’autorité compétente sera entravée si le signalement ne lui est pas adressé sans délai;

 – ou s’il existe un danger sérieux et imminent pour la vie, la santé et la sécurité de personne ou pour l’environnement ou un danger imminent de dommage important.

 Ces conditions sont alternatives.

 Il faut donc que le soupçon soit raisonnable mais encore que le lanceur d’alerte puisse raisonnablement considérer, sur la base de faits objectifs selon l’ancien projet, que l’une des conditions évoquées est remplie pour qu’une annonce immédiate à l’autorité puisse être faite sans violer le devoir de fidélité.

Je reprends ici ces trois conditions :

 1) Sur l’absence d’effet du signalement préalable à l’employeur, le donneur d’alerte devra être particulièrement prudent. Après s’être assuré que son soupçon est raisonnable, il devra encore pouvoir considérer tout aussi raisonnablement que son signalement sera sans effet. Le premier projet comportait à cet égard une liste exemplaire, dont on peut s’inspirer. Ainsi, il est raisonnable de penser qu’il n’y aura pas d’effets au signalement :

 – s’il ne peut être traité que par une personne subordonnée à la personne dénoncée;

 –  si l’employeur n’a pas réagi dans des cas antérieurs de signalement ou a eu une réaction manifestement insuffisante. Il n’y a en quelque sorte pas eu amendement de sa part;

 –  si dans un cas de signalement antérieur, le lanceur d’alerte a vu son contrat résilié ou a subi des mesures de rétorsion.

 L’employeur pourra se prémunir contre une dénonciation à l’autorité fondée sur l’absence d’effet. Si le législateur n’a pas jugé opportun d’imposer à l’employeur de mettre en place une procédure de signalement, en revanche, il accorde à l’employeur qui a pris cette précaution un avantage en ce sens, selon l’art. 321 a quater, al. 2, que le signalement à l’employeur est présumé produire un effet si l’employeur respecte 4 conditions cumulatives :

 – il prévoit un service indépendant pour recevoir et traiter les signalement;

 – il prévoit des règles sur la suite à donner au signalement;

 – il interdit la résiliation des rapports de travail ou d’autres désavantages;

 – il permet les signalements anonymes.

 Ainsi un employeur sera inspiré, dans son règlement du personnel, de prévoir une procédure de signalement afin de bénéficier de cette présomption. Si l’employé entend, malgré l’existence d’une telle procédure, procéder à une alerte immédiate auprès de l’autorité, il devra alors renverser cette présomption et établir que la procédure mise en place ne permettra pas de traiter le signalement de manière adéquate.

 2) La deuxième hypothèse est celle qui veut que l’action de l’autorité serait entravée si le signalement ne lui est pas adressé sans avis préalable. Elle vise à éviter qu’un signalement à l’employeur ne lui permette, par exemple, de détruire des preuves qui seraient utiles à l’autorité.

 3) Enfin, la dernière hypothèse est celle du danger sérieux imminent. Si le risque de porter atteinte à la vie est un risque sérieux, les autres atteintes devront faire l’objet d’interprétations par les tribunaux afin de déterminer si le risque est suffisamment important pour justifier d’une telle dénonciation immédiate. L’employé devra garder à l’esprit le principe de proportionnalité.

 Le risque doit en outre être imminent. En d’autres termes, l’imminence ne devrait être retenue que si seul un avis immédiat à l’autorité est propre à écarter le risque sérieux. On est ainsi dans le cas où aucun retard n’est tolérable.

 On pourra donc avoir des situations de risques sérieux d’atteinte à la vie dont l’imminence n’est pas telle que l’on puisse être dispensé de signalement préalable à l’employeur.

 A mon sens, il ne fait pas de doute que la situation de l’employé sera généralement très inconfortable.

 4.4. Art. 321 a quinquies CO : Signalement au public

 En dernier recours, le signalement au public est possible aux conditions de cette disposition.

 Si pour le signalement à l’employeur ou à l’autorité le lanceur d’alerte peut se contenter d’avoir “un soupçon raisonnable”, s’agissant du signalement au public, le niveau d’exigence est plus élevé et il doit avoir “des raisons sérieuses de tenir de bonne foi pour vrai” le fait qu’il signale publiquement.

 La formulation retenue est celle de l’art. 173, ch. 2 CP qui pose les critères qui permettent de se libérer de l’accusation de diffamation en invoquant sa bonne foi. On pourra donc se référer à la jurisprudence relative à cette disposition. A cet égard, on relèvera que pour que la bonne foi soit établie, il faut :

 – que l’auteur ait des raisons sérieuses de croire à son affirmation, ce qui implique un devoir de prudence et de diligence. Le lanceur d’alerte devra donc entreprendre toutes démarches de vérification que l’on peut raisonnablement attendre de lui compte tenu des circonstances et de sa situation personnelle;

 – et il faut en outre que l’auteur ait effectivement considéré le fait propagé comme étant vrai.

 Cela pose la question du mobile du lanceur d’alerte. Il doit poursuivre un but d’intérêt public et non un intérêt privé. Pour être plus précis, l’intérêt public devra être prépondérant sans que l’on puisse exclure tout intérêt privé du lanceur d’alerte. Ainsi, par exemple, les faits dénoncés, s’ils servent à l’intérêt public, peuvent également avoir pour effet de permettre au lanceur d’alerte de se débarrasser d’un concurrent à une promotion. Cet effet ne doit pas être prépondérant dans l’esprit du lanceur d’alerte. Je laisse naturellement à votre appréciation la difficulté qu’il y aura à établir l’intention du whistleblower ?

 Le lanceur d’alerte doit en tous les cas avoir signalé préalablement l’irrégularité à l’autorité compétente. A mon avis, cela exclut ainsi l’alerte publique pour violation d’une règle interne, puisqu’une telle règle n’est en principe pas soumise à surveillance d’une autorité.

 Il faut, en outre, que l’une des conditions suivantes soit remplie :

 –             le travailleur a demandé à l’autorité compétente d’être informé de la suite qui a été donnée à son signalement et l’autorité ne lui donne pas les renseignements utiles dans un délai de 14 jours;

 –             il a vu son contrat de travail résilié ou a subi d’autres désavantages à la suite de son signalement à l’autorité, nouvelle protection du lanceur d’alerte.

 S’agissant de la première condition, elle nécessite que le travailleur ait demandé à être tenu informé. Le message du Conseil fédéral de 2013 précisait à cet égard que si le lanceur d’alerte à un droit à l’information, il n’est pas partie à la procédure que mène l’autorité.

 Il incombe à l’autorité ou aux institutions administratives et politiques de faire en sorte que l’acte illicite reçoive une sanction suffisante sans que le lanceur d’alerte ne soit impliqué. L’autorité peut ainsi se limiter selon le message “à dire qu’elle a examiné les informations transmises et a jugé par exemple n’avoir pas d’éléments suffisants pour y donner suite, ou qu’elle a engagé une procédure et que les mesures qui s’imposent seront prises.”

 Vous noterez ainsi que l’autorité bénéficie d’une présomption de ce qu’elle prendra les mesures nécessaires, même si elle devait informer le lanceur d’alerte qu’elle n’entend rien entreprendre puisque, dès que ce renseignement est transmis au lanceur d’alerte, il ne peut plus s’adresser au public.

 Rien n’est dit en revanche quant à l’hypothèse de l’autorité qui prendrait une décision de classer sans suite non fondée. On pense par exemple aux lanceurs d’alerte bancaires qui n’ont que peu été entendus par les autorités de surveillance.

 A la lettre, même si l’autorité se fourvoie, le lanceur d’alerte ne devrait pas pouvoir faire un signalement public.  Le texte ne précise pas en effet que l’autorité doit prendre des mesures à la différence de ce que prévoit l’article 321 a ter que nous avons vu et qui impose à l’employeur de prendre des mesures s’il veut être à l’abri d’une alerte à l’autorité.

 On devrait pouvoir soutenir à mon avis que la décision manifestement infondée ne consiste pas en un renseignement utile du fait même de son caractère infondé. Par cette interprétation on pourrait donc faire une alerte publique. La situation de l’employé sera toutefois très délicate et il devra démontrer que l’autorité s’est fourvoyée.

4.5. Art. 321 a sexties : Consultation d’un tiers

 Cette disposition n’appelle pas de commentaire particulier. Elle permet au lanceur d’alerte de vérifier son droit au signalement en consultant un tiers soumis à un devoir légal de confidentialité. Ainsi en est-il du secret professionnel prévu à l’art. 321 du Code pénal. Ainsi en est-il des ecclésiastiques, des avocats, des défenseurs en justice, notaires, contrôleurs astreints au secret professionnel, etc.

 4.6. Art. 321 a septies : Réserve et exception

Cette disposition n’appelle pas non plus de commentaire particulier. Elle réserve le secret professionnel. A cet égard, si cette réserve n’avait pas été formulée, par le biais de l’art. 14 du Code pénal qui précise “quiconque agit comme la loi l’ordonne ou l’autorise se comporte de manière licite, même si l’acte est punissable en vertu du présent Code ou d’une autre loi”, l’art. 321 du Code pénal sur le secret professionnel deviendrait lettre morte. Par la réserve émise, c’est au regard de l’art. 321 CP que s’appréciera prioritairement le caractère licite de l’alerte.

 Enfin, l’al. 2 précise que l’avis aux autorités et, le cas échéant, au public, ne s’applique pas en cas de signalement à une autorité étrangère. Comme le Conseil fédéral le précise les infractions pénales, les autres actes illicites, ne comprennent pas le droit étranger. C’est pour cette raison qu’un signalement à une autorité étrangère est réservé par l’art. 321 a septies. Ainsi, le cas visé est celui d’un employeur domicilié en Suisse qui a des activités à l’étranger et qui est tenu de respecter des règles de droit étranger. Le travailleur sera confronté à un dilemme s’il découvre des violations des normes étrangères que son employeur est tenu de respecter. Or, des conflits peuvent surgir, puisque des règles étrangères peuvent prohiber des comportements que le droit suisse considère comme licite.

 Cela ne signifie pas, selon le message du Conseil fédéral (FF 2013 8598) que le signalement à une autorité étrangère sera toujours contraire à l’obligation de fidélité. Il faudra faire une pesée des intérêts en présence et décider au cas par cas, ces questions étant laissées à l’appréciation des juges. Il faudra ainsi s’assurer que l’intérêt public suisse, seul en cause, prévaut pour autoriser un signalement à une autorité étrangère, l’acte devant également être illicite au plan suisse. Est-il besoin de préciser que cette disposition devra être envisagée dans l’hypothèse d’un signalement d’une fraude fiscale à une autorité étrangère ?

 4.7. Art. 328, al. 3 et 336, al. 2, litt. d CO : Protection du lanceur d’alerte

 Comme on l’a vu, et c’est consubstantiel du whistleblowing, la protection du lanceur d’alerte est envisagée et sous-tend le projet de modification du Code des obligations.

 L’art. 328 relatif à la protection de la personnalité du travailleur est ainsi complété par une disposition visant expressément à protéger le lanceur d’alerte. Je ne suis pas certain pour ma part que la référence au harcèlement sexuel ne soit pas redondante avec l’art. 328 al. 1 CO.

 Quant à l’art. 336, al. 2, litt. d CO sur le licenciement abusif, il rend abusif un licenciement en raison du signalement d’irrégularité. L’indemnité maximale de 6 mois prévue par l’art. 336 a, al. 2 CO pourra ainsi être prononcée en cas de licenciement.

 Le lanceur d’alerte bénéficie ainsi de trois protections :

 a) La protection contre le licenciement abusif; il perd certes son emploi mais reçoit une indemnité allant jusqu’à 6 mois de salaire.

 b) Il peut également saisir l’autorité de surveillance en application de l’article 321 a ter CO.

 c) Il peut enfin saisir les médias si après son avis à l’autorité il est victime de représailles.

 Les deux dernières protections seront certainement les plus dissuasives.

5. Cas pratique

 Nous sommes, en Suisse, novices en matière de whistleblowing, à la différence des pays anglo-saxons. Pensez par exemple qu’en Angleterre, selon un rapport de l’International Bar Association, au VIIème siècle déjà on connaissait les premiers lanceurs d’alerte. J’ai été amené récemment à revoir un contrat établi par une entreprise anglaise pour un employé suisse. Ce contrat mentionnait comme motif de résiliation du contrat de travail, le cas échéant avec effet immédiat, le fait de ne pas lancer une alerte alors que l’on a connaissance de faits illicites. Cela m’a amené à envisager le cas pratique suivant :

 Une entreprise pharmaceutique met sur le marché un dispositif médical douteux. Un employé le constate et n’est pas très à l’aise, mais n’entreprend rien d’autre que de prévenir son supérieur, alerte restée sans suite.

 Un tiers dénonce l’entreprise et Swissmédic ouvre une enquête pénale.

 Aujourd’hui, rien ne peut être reproché à l’employé qui a respecté son devoir de fidélité. Qu’en sera-t-il demain puisque, s’il prévient l’autorité, il ne viole pas non plus son devoir de fidélité, l’autorité sera tentée de l’inclure dans son enquête pénale en faisant en quelque sorte un garant.

 Il y a là de nouveaux risques pour les employés, la limite entre “je peux dénoncer et je dois dénoncer” pouvant être très floue.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Latest news